La dernière addition pour certains établissements


Le 24 novembre, la population fribourgeoise votera sur l’introduction d’un salaire minimum cantonal. Si l’objectif de cette mesure semble louable, ses conséquences inquiètent fortement certaines branches, comme le nettoyage, le commerce de détail ou encore l’hôtellerie-restauration. Dans cette dernière, on redoute une précarisation accrue de structures déjà fragiles. Explications avec Philippe Roschy, président de GastroFribourg.

Quel impact concret aurait cette initiative pour vos membres ?

Les établissements de notre branche travaillent déjà avec des marges très limitées. Aujourd’hui, les salaires représentent environ 42% du chiffre d’affaires. Si le salaire minimum devait dépasser les barèmes prévus par notre convention collective, beaucoup d’entreprises ne pourraient tout simplement pas suivre. Cela mettrait en péril leur équilibre économique déjà fragile.

On pense souvent aux grandes chaînes. Mais qu’en est-­il des petits établissements ?

Les chaînes ont des moyens pour absorber ces coûts. Ce n’est pas le cas des petits cafés de quartier ou des auberges de village. Pour survivre, ces établissements familiaux devraient soit augmenter leurs prix, soit réduire leur personnel, ce qui les fragiliserait davantage alors que beaucoup jouent déjà leur survie.

Votre secteur emploie aussi des jeunes, des apprenti·e·s, des personnes en reconversion. Comment seraient­ils/elles affectés ?

Notre convention collective prévoit des exceptions pour ces profils, adaptées au contexte de la branche. Un salaire minimum uniforme découragerait leur engagement, réduisant les opportunités pour ces personnes.

Avez-­vous déjà des retours du terrain ?

Oui. Des établissements nous rapportent qu’ils hésitent à engager, par crainte de ne pas pouvoir assumer les charges à venir. Cela signifie plus de pression sur les équipes en place, une fatigue accrue, et parfois une qualité de service qui en souffre. Cette initiative ne ferait qu’accentuer cette problématique.

L’augmentation des charges pousse souvent à relever les prix. Jusqu’où peut-­on aller avant de perdre la clientèle ?

Difficile de donner un seuil. Ces dernières années, la hausse des coûts (énergie, matières premières, etc.) nous a déjà obligés à augmenter les prix car nous ne pouvions les absorber sans travailler à perte. Mais les client·e·s doivent aussi faire face à l’inflation. Dès lors, une nouvelle hausse des prix pour faire face à cette initiative entraînerait sans aucun doute une perte de clientèle. Cela risque malheureusement d’être l’augmentation de trop pour de nombreux établissements.

Certains établissements offrent déjà de bonnes conditions. Seraient-­ils aussi pénalisés ?

Oui. Ceux qui ont fait l’effort d’appliquer des conditions de travail correctes, sans pression extérieure, se retrouveraient pris au piège. Ils n’ont pas forcément la marge pour aller au-delà. Au lieu de valoriser les bonnes pratiques, on les mettrait en difficulté.

Enfin, un mot sur le partenariat social : quelle serait l’incidence d’un salaire minimum cantonal ?

Notre convention collective nationale existe depuis plus de cinquante ans. Elle est le fruit d’un dialogue constant entre partenaires sociaux. Une intervention étatique rigide risque de fragiliser cet équilibre. C’est tout un système, basé sur la confiance et l’adaptation, qu’on affaiblirait.

Quel message souhaitez­-vous adresser aux électrices et électeurs fribourgeois ?

Nous ne sommes pas contre l’idée d’un salaire minimum, nous avons des salaires minimums propres à notre branche depuis longtemps. Mais nous plaidons pour une primauté des conventions collectives, qui tiennent compte des réalités de branche et qui évoluent régulièrement pour s’adapter à la conjoncture. Tout ne peut pas être généralisé. Dans notre cas, elle offre déjà des protections solides (13e salaire, 5  semaines de vacances, jours fériés). Un salaire minimum cantonal mettrait en danger les petites entreprises, l’apprentissage et le partenariat social.

Non au salaire minimum

Séduisant en apparence, le salaire minimum comporte de nombreux effets négatifs. Voici six arguments qui expliquent pourquoi il met en péril l’économie fribourgeoise.

1. Le salaire minimum met en péril des emplois

L’introduction d’un salaire minimum augmente les charges salariales. Pour les PME et les secteurs à faibles marges, comme l’hôtellerie-restauration, le nettoyage ou le commerce de détail, ce surcoût est difficilement supportable. Il se traduit par des suppressions d’emplois et par une automatisation accrue des tâches simples.

2. Le salaire minimum décourage l’embauche des personnes moins qualifiées

Les jeunes, les personnes à temps partiel ou peu qualifiées seraient les premières victimes. Face aux coûts supplémentaires, les employeur·euse·s hésiteront à leur donner une chance, limitant ainsi l’accès au marché du travail de celles et ceux qui en ont le plus besoin.

3. Le salaire minimum fragilise la formation professionnelle

Si un emploi non qualifié rapporte presque autant qu’une formation, l’attractivité de l’apprentissage chute. Ce signal négatif affaiblirait le système dual, pilier de l’économie cantonale, et mettrait en péril la relève qualifiée indispensable aux entreprises fribourgeoises.

4. Le salaire minimum augmente la bureaucratie

Un salaire minimum légal entraîne un surcroît de contrôles et d’obligations administratives. Au lieu d’innover ou de servir leurs client·e·s, les entreprises se retrouveraient accaparées par des démarches bureaucratiques, au détriment de leur dynamisme et de leur innovation.

5. Le salaire minimum fragilise le partenariat social

Le modèle suisse repose sur des conventions collectives de travail négociées au sein des branches. Ce système souple et adapté a fait ses preuves. L’imposition d’un salaire minimum légal marginaliserait les partenaires sociaux et imposerait une uniformité déconnectée des réalités sectorielles.

6. Le salaire minimum nuit à la compétitivité

En imposant des coûts supplémentaires, le salaire minimum fragilise la compétitivité de secteurs déjà sous pression. Les entreprises les plus fragiles risquent de réduire leurs activités, voire de disparaître, ce qui affaiblirait durablement le tissu économique cantonal.